CONTES by Charles Perrault

CONTES by Charles Perrault

Auteur:Charles Perrault [Perrault, Charles]
La langue: fra
Format: epub, mobi
Tags: Contes et légendes
Éditeur: Les Bourlapapey Bibliothèque numérique romande
Publié: 2014-03-21T18:16:08+00:00


PEAU D’NE

Il était une fois un roi si grand, si aimé de ses peuples, si respecté de tous ses voisins et de ses alliés, qu’on pouvait dire qu’il était le plus heureux de tous les monarques. Son bonheur était encore confirmé par le choix qu’il avait fait d’une princesse aussi belle que vertueuse ; et les heureux époux vivaient dans une union parfaite. De leur mariage était née une fille, douée de tant de grâce et de charmes, qu’ils ne regrettaient pas de n’avoir pas une plus grande lignée.

La magnificence, le goût et l’abondance régnaient dans son palais ; les ministres étaient sages et habiles ; les courtisans, vertueux et attachés ; les domestiques, fidèles et laborieux ; les écuries, vastes et remplies des plus beaux chevaux du monde, couverts de riches caparaçons.

Mais ce qui étonnait les étrangers qui venaient admirer ces belles écuries, c’est qu’au lieu le plus apparent un maître âne étalait de longues et grandes oreilles. Ce n’était pas par fantaisie, mais avec raison, que le roi lui avait donné une place particulière et distinguée. Les vertus de ce rare animal méritaient cette distinction, puisque la nature l’avait formé si extraordinaire que sa litière, au lieu d’être malpropre, était couverte, tous les matins, avec profusion, de beaux écus au soleil et de louis d’or de toute espèce, qu’on allait recueillir à son réveil.

Or, comme les vicissitudes de la vie s’étendent aussi bien sur les rois que sur les sujets, et que toujours les biens sont mêlés de quelques maux, le Ciel permit que la reine fût tout à coup attaquée d’une âpre maladie, pour laquelle, malgré la science et l’habileté des médecins, on ne put trouver aucun secours. La désolation fut générale. Le roi, sensible et amoureux, malgré le proverbe fameux qui dit que l’hymen est le tombeau de l’amour, s’affligeait sans modération, faisait des vœux ardents à tous les temples de son royaume, offrait sa vie pour celle d’une épouse si chère ; mais les dieux et les fées étaient invoqués en vain.

La reine, sentant sa dernière heure approcher, dit à son époux qui fondait en larmes : « Trouvez bon, avant que je meure, que j’exige une chose de vous : c’est que s’il vous prenait envie de vous remarier… » À ces mots, le roi fit des cris pitoyables, prit les mains de sa femme, les baigna de pleurs, et, l’assurant qu’il était superflu de lui parler d’un second mariage : « Non, non, dit-il enfin, ma chère reine, parlez-moi plutôt de vous suivre. — L’État, reprit la reine avec une fermeté qui augmentait les regrets de ce prince, l’État doit exiger des successeurs et, comme je ne vous ai donné qu’une fille, vous presser d’avoir des fils qui vous ressemblent ; mais je vous demande instamment, par tout l’amour que vous avez eu pour moi, de ne céder à l’empressement de vos peuples que lorsque vous aurez trouvé une princesse plus belle et mieux faite que moi ; j’en veux votre serment et alors je mourrai contente.



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